vendredi 20 avril 2012

Les premiers résultats : publiera, publiera pas ?

C'est la grande inconnue de cette campagne présidentielle.
S'il n’intéresse pas grand monde, et que les dés semblent déjà joués quant à savoir qui sera présent au second tour, le premier tour des présidentielles 2012 de dimanche aura au moins le mérite de tenir en haleine les passionnés de médias et de NTIC (Nouvelles Technologies d'Informations et de Communication).

Le sujet de cet intérêt ? La publication avant 20h des premiers résultats des votes.
En effet, en France, les bureaux de vote ne ferment pas tous à la même heure. Ceux fermant à 18h ou 18h30 auront déjà dépouillé quelques bulletins lorsque fermeront les bureaux de vote des grandes villes, vers 20h.
De ces premiers dépouillements découleront nécessairement des tendances. Se dessineront alors les premiers résultats du vote des Français.

En France toujours, il est cependant interdit par une loi de publier une quelconque tendance/estimation avant la fermeture des derniers bureaux de vote à 20h et ce, pour garantir que le vote des citoyens retardataires ne soit pas influencé par les premiers résultats.
L'article 12 de la loi de 1977 et l'article 90-1 du code électoral  précise bien que "de la nuit du vendredi 20 avril (à partir de minuit) au dimanche 22 avril à 20 heures, il est interdit à tout média, blogueur ou utilisateur de réseaux sociaux de diffuser publiquement des sondages ou des estimations de résultats concernant le premier tour de l'élection présidentielle "
Toute publication avant 20h, par un média comme par un particulier, pourra être sanctionnée de poursuite judiciaire et de 75.000 euros d'amende.


Le problème, c'est que cet embargo, vieux de plusieurs années, n'a aucune répercussion dans les pays limitrophes comme la Belgique ou la Suisse, dont les médias locaux (comme la RTBF) ont d'ores et déjà annoncé qu'ils publieraient les premièrs résultats dès 18h30.

Comment, à l'heure d'internet et de Twitter, éviter la propagation de ces publications en France, via notamment les réseaux sociaux ? Les médias doivent-ils faire fi de l'embargo et eux aussi annoncer les premiers résultats ?

Libération a ouvert la voix, mercredi dernier en annonçant qu'il pourrait publier les estimations dès 18h30. Une possibilité que le spécialiste en médias de l'Express, Renaud Revel, comprend :

" Bien évidemment, la position de Libération est d’une grande logique et on voit mal pourquoi d’autres journaux et médias ne s’engouffreraient-ils pas dans la brèche ainsi ouverte ? Comment imaginer, en effet, qu’à l’heure d’Internet et de la globalisation de l‘information, la France demeure un sanctuaire mis sous cloche et coupé du monde ! Les responsables de médias, en Belgique et Suisse, se disent ainsi médusés face au spectacle qui s’annonce, en France : celui d’une légion de rédactions réduites au silence jusqu’à 20 heures, alors que sur Internet circuleront depuis prés de deux heures des résultats, comme s’il en pleuvait ! "

Un embargo certes archaïque à l'heure du net, mais que Daniel Schneidermann semble, dans sa chronique d'Arrêt Sur Images, expliquer via un exemple:

"Mais enfin, imaginons un électeur. Pris au hasard. Imaginons qu’il ait la chance d’habiter une grande ville, où les bureaux de vote ferment à 20 heures. Cet électeur est très désireux, par-dessus tout, de sortir le sortant. Mais le candidat le plus susceptible, selon les sondages, de sortir le sortant au second tour, ne l’enthousiasme guère. Dans le secret de son cœur, au premier tour, notre électeur en préférerait un autre, nettement plus, enfin moins, bref, vous voyez. Tout en refusant de prendre le moindre risque, rapport à la sortie du sortant, parce que cet électeur, doté d’une mémoire à peu près en état de marche, se souvient d’un certain 21 Avril, dix ans plus tôt. Bien embêté, notre électeur. Alors que fait-il ? Eh bien, puisqu’il a la chance d’habiter une grande ville où les bureaux de vote ferment à 20 heures, il se comporte de manière totalement a-civique, irresponsable et statistiquement négligeable selon les politologues. Il attend 18 heures, pour consulter les fourchettes en croquant cyniquement des chocolats, et voir si les conditions de sortie du sortant lui semblent statistiquement réunies. Et il lui reste ensuite deux longues et scandaleuses heures pour se rendre tranquillement au bureau de vote et, froidement, sans scrupule, pleinement conscient de son honteux privilège, adapter son comportement électoral (né-gli-geable) aux possibilités que lui offre la technologie."

Eva Joly, candidate d’EELV, a estimé qu’une fuite d’estimations « peut influencer le vote », que ce serait « une rupture de l’égalité » qui pourrait « avoir une influence indue », sachant que « 15 % (des électeurs) se déterminent dans le bureau de vote ».

Quoi qu'il en soit, il semble improbable que les résultats ne soient pas communiqués avant l'heure fatidique. Et si ce n'est pas via les médias officiels, ce sera par la communauté Internet. Déjà les twittos ont trouvé la parade aux éventuels contrôles que les autorités tenteront de mettre en place.



La parade pourrait pourtant à l'avenir être beaucoup plus simple. Il suffirait de revenir sur l'organisation des élections, et de la remettre au goût du jour, en prenant en compte la variable Internet. Que tous les bureaux de vote ferment à la même heure ! Ainsi, tous seraient égaux et auraient les estimations en même temps, après 20h.

"Que l’on réforme, sur le plan technique, l’organisation de cette élection présidentielle. Une mission apparemment impossible pour les cerveaux qui nous dirigent, lesquels brandissent aujourd’hui et en désespoir de cause, des menaces de sanctions bien illusoires quant à leurs effets." conclue Renaud Revel.

La Commission des sondages a déjà expliqué qu'elle révélera le vendredi un dispositif inédit pour lutter contre la publication avant l'heure des résultats au premier tour de l'élection présidentielle.

Qui osera, qui n'osera pas publier les premiers résultats ? Réponse dimanche à partir de 18h30.
De quoi redonner de l’intérêt à ces présidentielles bien monotones.


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